Ecologie, de la désobéissance civile à l'écoterrorisme ?

Les actions des militants écologistes sont de plus en plus fréquentes. Leurs détracteurs dénoncent une surenchère menant à l’écoterrorisme. Ce concept, né dans les années 1970 en même temps que l’écologie radicale, n’a pourtant pas trouvé écho en France. Pour le moment.
De la soupe ou de la purée projetées sur des tableaux de Van Gogh et Claude Monet - protégés par une vitre - pour faire réagir, des pneus de véhicules polluants dégonflés par des activistes, ou encore des trous de parcours de golf rebouchés en pleine canicule… Face à l’urgence climatique, les militants écologistes multiplient les actions spectaculaires pour dénoncer l'inaction des gouvernements.
Mais entre réactions de soutien et mécontentement affiché, ces actes reçoivent un accueil mitigé. Là où ces activistes se réclament de la désobéissance civile, leurs détracteurs, exaspérés, dénoncent une fuite en avant vers l’écologie radicale, qui mènerait tout droit à une résurgence de l’écoterrorisme.
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Alors, les méthodes revendiquées par ces mouvements relèvent-elles de la désobéissance civile ou de l'écoterrorisme ? S’il existe une montée en puissance des revendications écologiques, elle se fait avant tout dans une démarche “non-violente” en France fait remarquer le philosophe Dominique Bourg, spécialiste des questions d’environnement et co-auteur de Désobéir pour la Terre. Défense de l’état de nécessité (PUF, 2021), avant de concéder : “la dynamique de réduction de l’habitabilité de notre planète dans laquelle nous sommes, je comprends qu’elle puisse renforcer la tentation de la violence quand on a 20 ans”.
“Il n’y a pas d’écoterrorisme en France pour l’instant”, confirme à ce sujet Eric Denécé, directeur du think tank le Centre français de recherche sur le renseignement, et auteur de Écoterrorisme ! Altermondialisme, écologie, animalisme : de la contestation à la violence (Tallandier, 2016). “On assiste en France à de nombreuses actions : de la protestation, de la manifestation, des sit-in, des blocages, des libérations d’animaux, des occupations de site… Il s’agit d’actions qui, si elles sont légitimes, ne sont pas toujours légales, peuvent relever du trouble à l’ordre public, mais on n'est pas dans l’écoterrorisme, contrairement au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis par exemple.”
De l’écologie radicale à l’écoterrorisme
Alors peut-on vraiment craindre un basculement vers l'écoterrorisme ? Historiquement, cette notion émerge au milieu des années 1960, lorsque des militants, constatant l’échec des mouvements traditionnels face à l’essor du capitalisme industriel, décident de se tourner vers une écologie plus radicale et vers l'action directe.
Parmi ces groupes d’activistes, la Hunt Saboteur Association (HSA), en Angleterre, est un des premiers mouvements à s’opposer à la chasse avec des méthodes qui, si elles semblent banales aujourd’hui, sont alors considérées comme “hors normes” : pour dérouter les chasseurs, les membres de l’association n’hésitent pas à installer des clôtures au milieu des zones de chasse, à créer des fausses pistes pour dérouter les chasseurs ou encore à utiliser des sifflets pour faire fuir les animaux. Autant de stratégies qui tranchent avec les classiques manifestations et sit-in des militants écologiques.
Les actions de la Hunt Saboteur Association s'inscrivent alors encore dans le cadre de la loi. Ce n’est qu’en 1973 que Ronnie Lee, un ancien membre de la HSA crée le groupe Band of Mercy. Il estime que les méthodes employées jusqu’ici n’ont pas eu de résultats concrets et décide d’employer des tactiques illégales pour se faire entendre : destructions de véhicules transportant des animaux destinés à des expériences, incendies de laboratoires de vivisection ou encore démolition d’un bateau utilisé pour la chasse aux phoques… L’écologie radicale vient de monter d’un cran dans ses modes d’action.
Le groupe fait long feu : il est dissous en 1974, après que plusieurs membres de la HSA sont arrêtés par les autorités puis condamnés. Deux ans plus tard, lorsque Ronnie Lee sort de prison, il est plus militant que jamais : jugeant que le nom Band of Mercy n’est pas assez représentatif de son combat, il fonde alors l'ALF, le Animal Liberation Front (Front des libération des animaux). D’abord consacrée à des actions anti-chasses, cette organisation va rapidement élargir son champ d’activité à la défense du droit des animaux en général, souvent par le truchement d’actions illégales.

"Le Gang de la clé à molette", manuel inattendu
La fondation du Front de libération des animaux coïncide avec la sortie d’un ouvrage qui va devenir une source d’inspiration pour de nombreux mouvements d’écologie radicale. La nouvelle The Monkey Wrench Gang (Le Gang de la clé à molette, Gallmeister, 2017), de l’auteur américain Edward Abbey, paraît en 1975. Elle raconte comment des militants, emmenés par un vétéran de la guerre du Vietnam, se lancent dans une croisade destinée à empêcher la destruction de la nature dans le Grand Ouest américain. Leur moyen d’action ? Des manœuvres de sabotage visant bulldozers et trains. L’ouvrage va avoir une influence inattendue sur les mouvements écologiques radicaux : les actions suggérées dans ce roman tragi-comique vont être mises en œuvre par des activistes, au point de faire de la formulation “monkey-wrenching” un synonyme du sabotage écologique.
“À peu près tous les mouvements écologistes radicaux sont nés en Grande-Bretagne à la fin des années 1960-1970, et ont émigré aux Etats-Unis où ils se sont un peu renforcés”, précise Eric Denécé. L’animalisme et l’écologie radicale sont les deux grands mouvements qui vont donner naissance à des groupuscules terroristes. Ce sont d'ailleurs les deux seules tendances qui sont passées à l'action violente qualifiable de terrorisme. Toutes les autres causes modernes, comme l’anticapitalisme ou l’altermondialisme, ne se sont jamais livrées à de telles dérives.”
En Californie, le groupe Environmental Life Force (ELF), fondé en 1977, est ainsi le premier à utiliser des engins incendiaires pour détruire des avions d’épandage aérien, avant d’être démantelé la même année. “Ce n'est pas anodin que ces premiers mouvements violents émergent aux Etats-Unis, complète le philosophe Dominique Bourg. C'est le pays où, justement, on sacralise les espaces sauvages. Ça a été très important dans la fabrication de l'identité américaine. Il y a eu ce moment-là de protection de la nature aux Etats-Unis, mais ça n'a pas duré. La vague conservatrice, dans les années 1980, a détruit le consensus environnemental droite-gauche qui existait”.
Le mouvement Earth First ! (EF !) se concentre ainsi sur la protection des habitats naturels. Né en 1980, il a été si inspiré par la nouvelle The Monkey Wrench Gang qu’il choisit pour emblème une clé à molette croisée avec un tomahawk : ses militants popularisent le tree sitting, qui consiste à s’installer dans un arbre pour empêcher qu’il soit abattu, et plantent des pointes de métal dans les arbres pour saboter les tronçonneuses des bûcherons.

Malgré quelques actions de sabotage, les actions du mouvement Earth First ! restent, pour l’essentiel, légales. En 1992, des membres du mouvement décident ainsi de créer le Earth Liberation Front (ELF), ou Front de libération de la Terre, un groupe dédié à l’action directe, dans une démarche qui s’inspire de celle du Front de libération des animaux.
Très actif depuis le début des années 1980, le Front de libération des animaux créé par Ronnie Lee a en effet imposé sa marque de fabrique en s’introduisant dans des laboratoires pour en libérer les animaux sujets d’expériences et détruire le matériel utilisé par les chercheurs. Un de leurs coups d’éclat consistera, en 1985, à pénétrer dans les locaux de l’université de Californie, à Riverside, pour libérer plus de 1 000 animaux. La découverte puis le sauvetage d’un petit macaque nommé Britches, aux paupières cousues et affublé d’un sonar directement implanté dans le crâne, contribue grandement à conférer une certaine légitimité aux actions de l’ALF auprès de l’opinion publique.
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Dans la droite lignée de l’ALF, le Front de libération de la Terre ne tarde pas à devenir l'un des grands mouvements de l’écologie radicale. En mars 1997, dans l’Utah, les deux mouvements revendiquent d’ailleurs ensemble la destruction au moyen de bombes artisanales des bureaux de la Coopérative agricole des éleveurs de fourrures - soit plus d’un million de dollars de dégâts.
“Les principaux groupes d’écologie radicale viennent de ces deux grandes formations que sont le Front de libération de la Terre et le Front de libération des animaux, raconte Eric Denécé. Ces deux groupes- là ont donné naissance à plein de groupuscules, comme l’Animal Rights Militia. Si vous voulez, ce sont des marques plus que des groupes : les gens font des attentats ou des actions de sabotage et les revendiquent après au nom d'ELF ou ALF. Mais en réalité, il ne s’agit pas d'organisations très structurées.”
Classés sur la liste du terrorisme intérieur du FBI
En 2003, le FBI définit pour la première fois l’écoterrorisme comme “l'utilisation ou la menace d'utilisation de la violence de nature criminelle contre des personnes ou des biens, par un groupe infranational pour des raisons environnementales et politiques”. Dans un rapport publié en 2013, le département de la Sécurité intérieure des Etats-Unis relève ainsi qu’entre 1995 et 2010, 239 incendies et plastiquages (attentats à la bombe) ont eu lieu. 55 % d’entre eux sont attribués au Front de libération de la Terre et 45 % au Front de libération des animaux. Peu surprenant, dès lors, que ces deux mouvements soient classés sur la liste du terrorisme intérieur du FBI, aux côtés de quelques autres groupes moins connus.
Le qualificatif d’”écoterrorisme”, pour ces mouvements, reste pourtant sujet à débat. Dans son ouvrage Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2021), le maître de conférences associé en écologie humaine et militant écologiste suédois Andreas Malm rappelait cependant un autre fait : “EF !, l’ALF, l’ELF et les groupuscules et les personnes qui s’y rattachent plus ou moins étroitement ont mené à bien un total de 27 100 actions, entre 1973 et 2010. [...] Le plupart consistaient en des dégradations de biens par des inscriptions peintes à la bombe, mais il y a eu aussi des pneus tailladés, des véhicules incendiés, des vitrines brisés [...], des bombes et des bombes sonores lancées, la très longue liste témoignant d’une imagination assez vive. Les cibles étaient choisies dans une certaine confusion. [...] Les 27 100 actions ont causé la mort de quatre personnes, toutes du fait d’agresseurs qui n’étaient affiliés à aucun groupe. EF !, l’ALF et l’ELF n’ont jamais tué personne. 99,9 % des actions n’ont pas fait de blessés. C'était, bien entendu, un choix délibéré”.
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C’est cette volonté de ne pas attenter à la vie humaine qui permet aux grands mouvements de l’écologie radicale de réfuter les accusations d’écoterrorisme, préférant se revendiquer d’une forme d’éco-sabotage. Dans un article publié en 2012 , les chercheurs Carson, Lagree et Dugan, du START, le Consortium national pour l’étude du terrorisme et des réponses au terrorisme, qui dépend du Département de la Sécurité intérieure des Etats-Unis, livrent eux aussi un verdict plus nuancé sur le sujet, après s’être intéressés à 1 069 actes criminels commis par des groupes environnementaux : “classer ces cas comme du terrorisme est trompeur, écrivent-ils. Les partisans extrémistes de la défense de l’environnement et des animaux ne cherchent pas à blesser ou tuer des êtres humains… Il est incorrect de qualifier les incidents perpétrés par des groupes de défense de l'environnement et de défense des droits des animaux de "terrorisme" car dans leur grande majorité, ils impliquent des dommages matériels mineurs et ne ciblent pas les personnes.”
Pourtant, de l'avis de nombreux spécialistes, s'il n'y a pas encore eu de morts c'est surtout par chance. D'autant que certains mouvements revendiquent leur prédisposition à faire usage de violence directement contre des personnes. En 1982, l’Animal Rights Militia, mouvement dissident du Front de libération des animaux, a ainsi envoyé des colis piégés à Margaret Thatcher, faisant un blessé léger. Si le groupe n’a jamais tué qui que ce soit, il a affirmé avoir contaminé à de nombreuses reprises des produits de consommation courante d'entreprises ayant réalisé des tests sur des animaux, et ce afin de “faire subir aux humains les souffrances endurées par les animaux lors d'expérimentations”. Ces actes ont contraint les entreprises concernées à retirer leurs produits de la vente, sans toutefois provoquer d’incident majeur.
À ce jour, les dégâts causés par les mouvements d’écologie radicale se chiffrent en centaines de millions de dollars, mais n’ont été directement liés à aucune mort. “Quand vous voulez faire l'éloge du vivant, ce n'est pas pour le flinguer, tranche le philosophe spécialiste des questions environnementales Dominique Bourg. En général, les écologistes sont pacifistes.”
En France, l’écoterrorisme n’existe pas
En France, les grands mouvements de l’écologie radicale, comme le Front de libération des animaux ou le Front de libération de la Terre trouvent peu d’échos. “Nous n'avons pas d'organisations écoterroristes à ce jour en France, statue le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, Eric Denécé. Il y a eu des actes criminels pouvant relever de ça quand, en 2007, des écologistes du Front de libération des animaux ont brûlé l'usine Techniplast à Limonest, dans la banlieue de Lyon, qui fabriquait des cages pour le transport des animaux de laboratoire. C'était un incendie très violent et ils ont eu de la chance qu'il n'y ait pas de mort. C'est l'une des actions les plus violentes que l’on ait eue en France.”
De fait, les vidéos tournées dans des abattoirs par l'association L214 ou les actions coup de poing menées par Extinction Rebellion ont rendu ces mouvements bien plus identifiables auprès du grand public que les antennes françaises des deux grands groupes d’écologie radicale que sont le Front de libération des Animaux ou le Front de libération de la Terre.

“L’éco-activisme est plutôt récent en France, commente Eric Denécé. Il y a eu les mouvements anti-corridas dans le Sud-Ouest, et plus récemment il y a L214 ou 269Life et puis d'autres petits groupes comme le PMAF (Protection mondiale des animaux de ferme, ndlr) du côté des animalistes. Et côté écologistes, il y a eu les faucheurs OGM, et maintenant on identifie plutôt Extinction Rebellion. Ce sont des groupes actifs, dont les actions relèvent régulièrement de la violation de l’ordre public, mais ce n’est pas de l’action terroriste.”
Pourtant, des mouvements comme L214, Greenpeace France ou Extinction Rebellion se retrouvent de plus en plus souvent devant les tribunaux, qu'ils y aient été convoqués ou bien qu'ils aient eux-mêmes décidé de porter une affaire en justice. “Ces mouvements multiplient les actions judiciaires, utilisent tous les recours à leur disposition, poursuit Eric Denécé. Ces groupes savent utiliser la loi. Ils font du lobbying pour faire changer les textes sur le bien-être animal, notamment. Et ils sont à l'origine de progrès notables et, à mon sens, tout à fait utiles pour les animaux. Mais bien sûr, en face, ceux qui sont attaqués font la même chose : ils utilisent le droit.”
"On ne parle pas d'islamo-terrorisme ou de facho-terrorisme"
Malgré ces batailles judiciaires, aucune de ces associations n'a jamais été condamnée pour écoterrorisme. Peut-être, simplement, parce qu'en France le terme n’a pas d’existence juridique. “Est-ce que c'est un concept légal ? Non, pas du tout. On ne peut pas parler de terrorisme pour l'éco-activisme. C'est un dévoiement conceptuel”, assure Xavier Sauvignet, avocat au barreau de Paris. “Le préfixe “éco-” n'a de sens que dans le débat public, dans le débat politique. Dans le débat juridique, en revanche, on ne parle jamais d'écoterrorisme ou d'éco-infraction : on parle d’infraction. Par exemple, pour ce qui est des dégonflages de pneus, il y a l'infraction de “sabotage” ou de “détérioration du bien d'autrui par l'usage d'une arme”. L'infraction de terrorisme se décline de plusieurs façons mais en général il y a l'entreprise terroriste, donc le fait d'avoir mis en œuvre des crimes ou des délits dont le but de terroriser l'Etat et la population, et ensuite vous avez l'association de malfaiteurs terroristes : c'est l'association de malfaiteurs, mais avec une dimension supplémentaire qui est que les malfaiteurs en question avaient pour objectif non pas de braquer une banque comme c'est le cas parfois, mais de commettre un attentat sur le territoire.”
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Pour l'avocat, qui a défendu le dossier des décrocheurs des portraits d'Emmanuel Macron, “accoler l’éco-activisme au terrorisme est un concept réactionnaire. C’est une façon de jeter le discrédit, en quelque sorte, puisque personne n’aime le terrorisme. On ne parle d'ailleurs pas d'islamo-terrorisme ou de facho-terrorisme dans le code pénal".
En France, “90 % des associations respectent la loi”, estime d'ailleurs de son côté Eric Denécé. Et quand bien même certaines associations enfreignent sciemment le droit, leurs actions tiennent plus du trouble à l'ordre public que d'un véritable désir d'en découdre avec les autorités.
La désobéissance civile, ou l’apologie de la non-violence
Pour le philosophe Dominique Bourg, ce constat est d’autant plus évident que la mouvance écologique a toujours été fondamentalement non-violente. “L'écologie n'a jamais théorisé l'usage de la violence, explique-t-il. La seule chose qu'elle a théorisé, c'est la désobéissance civile, donc le mouvement non-violent.”
Si les mouvements écologiques sont aussi attachés au concept de désobéissance civile, c’est parce qu’on doit celui-ci à un des grands penseurs de l’écologie (et particulièrement de la décroissance) : le naturaliste américain Henry David Thoreau. En 1849, ce dernier écrit dans son essai de philosophie politique, La Désobéissance civile, la nécessité de s’opposer à un pouvoir jugé illégitime : “Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l'homme juste est aussi en prison”, affirme-t-il dans son pamphlet. “Dans son cas, il s’agissait d’une question purement morale”, précise Dominique Bourg. Il avait été emprisonné après avoir refusé de payer l'impôt, parce que l'impôt servait à financer la guerre avec le Mexique. Dans la désobéissance civile telle qu'elle a évolué, il ne s’agit pas simplement de protestations liées à la conscience morale, on est sur l'idée de faire évoluer le droit”.
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“La désobéissance civile, c'est le fait de désobéir ponctuellement à une loi, à l'État du droit, pour le faire évoluer", poursuit le philosophe. "Ce que demandent les gens en termes de climat, c'est précisément qu'il y ait des lois nouvelles, c'est-à-dire qu'il y ait une évolution du droit pour qu'on prenne en compte les dangers climatiques. C'est ça la désobéissance civile, c'est désobéir pour ouvrir un droit nouveau.”
Si, en France, toutes les actions menées par des mouvements écologistes ne se revendiquent pas de la désobéissance civile, face à l’urgence climatique, de plus en plus de militants cherchent volontairement à confronter le droit. À l’image des décrocheurs des portraits d’Emmanuel Macron, qui ont commis une infraction mineure dans l'espoir d'attirer l’attention sur un problème plus large : “l'idée est d'aller devant les tribunaux, de mesurer le droit, l'état du droit face à un contexte nouveau, destructeur et violent”.
Cet été, en pleine canicule, des membres du collectif Extinction Rebellion ont ainsi décidé de boucher des trous de parcours de golf à l’aide de ciment, alors que les propriétaires des lieux avaient obtenu une dérogation pour arroser leurs terrains. Une aberration, selon les militants, quand en parallèle les habitants souffraient de restrictions d’eau. Les directeurs des golfs avaient alors annoncé leur décision de porter plainte. “C'est ça la désobéissance civile , commente Dominique Bourg. Vous réinterprétez l'état de la loi avec le contexte. Le droit, s’il sanctionne le boucheur de trous de golf, omet le contexte général dans lequel l'action a lieu. Et c'est pareil pour la question des jets privés : il y a une espèce de fétichisation du droit de propriété au détriment de la gravité de la situation environnementale.”
L'écologie face à la justice
Une fois devant les tribunaux, les militants écologistes se défendent essentiellement en évoquant l’état de nécessité. “Il y a une sorte de test de proportionnalité, détaille Xavier Sauvignet. Est-ce que c'est proportionné de, par exemple, dégonfler le pneu d'un SUV face au bien commun qu’est la préservation du vivant ? Eux affirment que oui, que c’est nécessaire. ” L’autre argument consiste à plaider la réappropriation du domaine public : “Décrocher un portrait de Macron, dénoncer les accords de Paris, coller des affiches pour dénoncer les féminicides : des citoyens se réapproprient le domaine public pour porter un message. Là, la stratégie de défense, c'est souvent l'exonération de responsabilité pénale par la liberté d'expression.”
Dans les faits, ces arguments trouvent encore assez peu d’échos auprès de la justice et les activistes sont régulièrement condamnés, même si les peines restent légères. “En France, on a une justice qui est assez ouverte, estime le philosophe Dominique Bourg. Je pense que, dans l’esprit des jeunes, c'est vraiment important, parce que ça va un peu dans le sens de la désobéissance civile : certains juges ont le courage de prononcer des jugements intéressants.”
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L’échec de la désobéissance civile
Malgré une occupation de plus en plus conséquente de l'espace médiatique, l’action non-violente, regrette Dominique Bourg, a pourtant échoué à faire ses preuves. “Le bilan de la désobéissance civile est très léger, et la désobéissance civile sur le climat, c’est un échec, il y a un défaut de résultat. Pour qu'elle réussisse, il faudrait que la désobéissance civile soit massive. Elle avait commencé à le devenir en 2019 mais la Covid a complètement cassé ça.”
Le philosophe raconte comment de nombreux jeunes, passés par Extinction Rebellion, finissent ainsi par quitter le mouvement, déçus par l’absence de résultats des mobilisations. “Ça peut mener à une forme de démobilisation politique, mais ça pourrait tout aussi bien déboucher sur une forme de protestation violente, qui consisterait à détruire des matériaux, voire à s’en prendre à certaines personnes. On voit bien que ça n'est pas du tout impossible et que ça serait la seconde phase après un échec de la désobéissance civile.”
"Il n'y a pas d'appel au meurtre, il y a un discours qui se veut non-violent, mais ça dérive peu à peu, juge de son côté Eric Denécé. Ce qui est intéressant, c'est de constater que les actions les plus violentes sont rarement dénoncées par la base, qui elle se dit non-violente." L'escalade serait donc d'autant plus facilitée par le fait que, face à des gouvernements qui échouent à adresser les problématiques écologiques, une partie de plus en plus importante de la base militante observe ces actions radicales sans s'en inquiéter outre mesure.
“Je pense qu'on a tous les ingrédients pour aller vers une action qui commence à entrer dans une certaine logique violente - en espérant qu'on la contienne”, conclut Dominique Bourg. “En refusant d’agir, en condamnant stupidement, on aura tout fait pour en arriver là. Nous sommes dans le pays de la révolution de 1789, je serais très étonné qu'on ne franchisse pas un degré supplémentaire de violence.”
Références